Photographier le silence. Photographier l’absence. Quoi de plus émouvant qu’une photographie qui exprime le temps passé ? Quoi de plus muet qu’une pierre ? Pourtant quoi de plus troublant qu’une ancestrale bâtisse aux volets clos ? C’est une expérience presque chamanique entre moi, mon appareil et ces murs restés debout. A la vue d'une façade présentant tous les stigmates du temps, dans une totale inertie, dans un silence total, une magie opère et mon imagination se met à galoper pour tenter de savoir ce qu’ont pu abriter ces anciennes demeures. Elles finissent par me raconter des histoires, elles finissent par être très bavardes ces vieilles pierres et ces vieux bois crevassés.

Quelles histoires de vie derrière ces portes closes ? Je photographierais avec des décennies de retard, les joies, les peines, l’ordinaire ou le malheur des vies passées ? Mais où sont passés les habitants ? Je crois entendre le rire des enfants, le crépitement d’un feu de cheminée, le moulin à blé ; pourtant, non, rien ... mais si, je suis sûr, derrière le calme envahissant des lieux … Je photographie peut-être des fantômes. C’est un calme secret qui s’accompagne d’odeur de salpêtre, de toiles d’araignées et de lierre conquérant, cette végétation qui finit toujours par reprendre ses droits, patiente, apparemment immobile et muette.

Et si je rentrais à l’intérieur ? Non, ça serait comme un sacrilège. Entrer dans le passé des absents sans y être invité, profaner des lieux fermés par le temps. Je vais continuer de me tenir à distance et de témoigner que certains silences sont souvent le résultat d’exodes, de guerres, de faillites, d’épuisements et que dans un grand tintamarre, la jeunesse et ses aventures, ses amours et son énergie s’en est allée ailleurs. Mais que le silence des vieilles pierres nous aide à ne pas tout oublier, elles ont tant à nous murmurer. Et il me plait d’être le chamane permettant aux tonitruants vivants de se souvenir.